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En République du Congo, un nouvel outil offre une opportunité de réduire la pauvreté et de lutter contre le changement climatique. La foresterie communautaire, qui a été reconnue dans la loi forestière  du pays, vise à permettre aux Peuples Autochtones et Communautés Locales (PACL)PACL de détenir et de gérer collectivement et légalement une partie des terres et des ressources forestières. Cela aiderait les communautés à protéger leurs forêts d’activités non désirées d’exploitation forestière, d’agro-industrie et d’exploitation minière.

Il existe désormais des preuves convaincantes que lorsque les PACL gèrent les terres et les ressources forestières, ils génèrent également plus de bénéfices  pour l’intérêt public — notamment en termes de séquestration du carbone et de préservation de la biodiversité. De plus, quel que soit le modèle commercial mis en place, les forêts contrôlées par les communautés fournissent des revenus, du bois de chauffage, du charbon et un large éventail d’autres avantages à 2,4 milliards de personnes.

Toutefois, il est surprenant de constater qu’alors que les PACL gèrent de manière coutumière près des trois quarts des terres du monde, seulement environ 10 % de ces terres sont légalement reconnues comme appartenant aux PACL. Au Congo, moins de 1 % du territoire national est légalement reconnu comme appartenant aux PACL ou comme relevant de la gestion des PACL. En revanche, plus de 70 % du territoire congolais est alloué à différents types de grandes entreprises d’exploitation telles que mentionnées précédemment, ainsi qu’à la conservation.

La foresterie communautaire peut aider à remédier à cette lacune profonde. Mais elle doit faire l’objet d’une mise en œuvre minutieuse. Nous allons maintenant réfléchir à la manière dont cela peut être fait.

Réfléchir à la foresterie communautaire de manière holistique

Les expériences du Cameroun, de la République centrafricaine, du Gabon et de la République Démocratique du Congo suggèrent que la foresterie communautaire a le potentiel de répondre aux objectifs sociétaux majeurs, notamment en termes de lutte contre la pauvreté et le changement climatique. Au niveau local, la foresterie communautaire offre aux groupes marginalisés tels que les peuples autochtones et les femmes une possibilité de détenir et de contrôler les terres, et donc de faire leurs propres choix quant à la manière dont ces terres sont utilisées. Elle peut également être une source de revenus stables grâce à la commercialisation de divers produits forestiers comme le bois d’œuvre, les produits non ligneux et le carbone.

Ces expériences montrent cependant que si elle n’est pas mise en place de manière efficace, la foresterie communautaire peut avoir des résultats sociaux et environnementaux négatifs.

Au cours de ces dernières années, il y a eu des appels incessants à repenser la foresterie communautaire. La Feuille de route de Brazzaville, dont le but est de fournir un plan d’attaque pour faire face à certains obstacles qui entravent l’efficacité de la foresterie communautaire, est un exemple de cet intérêt qu’inspire la foresterie communautaire. D’autres appels de ce type ont été lancés par un consortium de plus de 15 organisations de la société civile (OSC) internationales et nationales opérant dans la région.

Ces appels soulignent constamment la nécessité d’un meilleur alignement entre toutes les fonctions possibles de la foresterie communautaire : la sécurisation des terres, la réduction de la pauvreté, ainsi que la gestion durable des ressources et de l’environnement. Mais ces recommandations de haut niveau n’ont bien souvent pas donné lieu à des actions pratiques au niveau national.

Cinq actions clés pour concrétiser la foresterie communautaire au Congo

En 2021, le World Resources Institute (WRI) a entamé un dialogue sur la foresterie communautaire au Congo, en organisant un atelier avec 17 parties prenantes nationales congolaises et experts en foresterie communautaire — des ministères de l’Économie forestière et de l’Aménagement du territoire, du secteur privé, des organisations de la société civile, et des groupes de PACL. Les actions suivantes ont émergé comme moyens d’aider à identifier les défis et les opportunités liées à la foresterie communautaire dans le pays, et les options pour sa concrétisation.

Voici cinq étapes clés pour que la foresterie communautaire marche et atteigne ses objectifs :

1. Mettre en place un espace de délibération multipartite sur la foresterie communautaire. Il est essentiel d’arriver à une collaboration et une appropriation forte entre les agences gouvernementales entre autres, celles chargées des forêts, de l’aménagement du territoire, de l’économie, de l’agriculture. Selon la loi forestière de 2020, des portions des concessions forestières actuellement cogérées par les peuples autochtones et communautés locales et les entreprises privées peuvent être converties en permis de forêt communautaire. Il est donc essentiel que le secteur privé, les organisations de la société civile et les bailleurs de fonds fassent partie du dialogue autour de ces permis. Sous l’égide du ministère de l’Économie Forestière, une plateforme, une table ronde ou d’autres formes d’arrangements multipartites doivent être mandatés pour faire en sorte que ces permis de forêt communautaire aient des impacts positifs. L’exemple de la Table ronde sur la foresterie communautaire de la République Démocratique du Congo voisine pourrait servir d’inspiration. Cependant, il faudrait procéder à une contextualisation pour le Congo afin de prendre en considération les arrangements spécifiques de gouvernance et les besoins des parties prenantes.

2. Affiner la compréhension du contexte. Les quatre priorités de recherche sont les suivantes :

  • Faisabilité des options existantes et potentielles pour exploiter pleinement les avantages économiques, sociaux et environnementaux de la foresterie communautaire.
  • Typologies des arrangements possibles de gouvernance basées sur les modèles existants au sein des communautés congolaises.
  • Mécanismes capables de garantir la redevabilité entre les groupes de PACL et les groupes d’appui tels que les organisations de la société civile et les autorités locales.
  • Identification du niveau actuel de propriété foncière et cartographie des terres détenues légalement et coutumièrement par les PACL.

Des recherches sur certains de ces sujets existent pour d’autres pays du bassin du Congo — notamment le Cameroun, la République centrafricaine et la République Démocratique du Congo — et pourraient éclairer les efforts du Congo.

3. Informer, consulter et former toutes les parties prenantes. La connaissance limitée des PACL de la loi et des mécanismes d’application est souvent citée comme un obstacle à une bonne gouvernance forestière au Congo. C’est également un facteur qui permet aux élites de s’accaparer la plupart des initiatives de développement communautaires. Des règles strictes de consultation de toutes les parties prenantes, en particulier les groupes vulnérables, doivent être mises en place et appliquées pour s’assurer que les PACL gardent le contrôle sur tous les processus. Le ministère de l’Économie Forestière devrait faciliter l’accès aux opportunités de formation, en se basant sur un plan approuvé de développement des capacités. Fait crucial, les domaines de développement des capacités devraient inclure les stratégies et des techniques que les parties prenantes peuvent utiliser pour créer et gérer des forêts communautaires économiquement viables et se montrer résilients face aux pressions extérieures. Tous ces efforts de développement des capacités devraient être menés parallèlement à une campagne de communication intensive pour toucher les autorités locales, les OSC, les entreprises et les autres parties prenantes concernées.

4. Cartographier les terres coutumières éligibles à la foresterie communautaire. Pour compléter l’évaluation des droits de propriété et de contrôle des peuples autochtones et des communautés locales sur les terres coutumières, le gouvernement et ses partenaires de développement devraient créer des systèmes et un soutien pour que ces communautés puissent cartographier leurs terres et introduire ces cartes dans des bases de données gouvernementales. Plusieurs approches concernant la cartographie des terres des PACL et des droits coutumiers existent actuellement au Congo, y compris celles proposées par diverses organisations de la société civile, des entreprises et le ministère des Affaires Foncières. Il est important d’identifier une méthode permettant de cartographier les terres des PACL collectivement détenues (par opposition aux terres individuelles ou familiales se trouvant dans les limites des PACL qui pourront être cartographiées ultérieurement.) Après avoir piloté cette méthode, la deuxième étape consisterait à cartographier un nombre sélectionné de forêts communautaires. À plus long terme, il sera nécessaire de soutenir la cartographie de toutes les terres revendiquées par les PACL et leurs droits associés. La cartographie des terres des PACL va au-delà du mandat du ministère de l’Économie forestière. Aussi les ministères en charge des affaires foncières, de la décentralisation, de l’aménagement du territoire et de l’agriculture devraient également s’engager dans cet effort.

5. Mener une phase expérimentale de la foresterie communautaire. Entre 2016 et 2019, plus de 15 OSC internationales et nationales ont uni leurs forces avec d’autres parties prenantes pour piloter divers modèles de foresterie communautaire dans le bassin du Congo. Une leçon clé tirée de cette initiative est qu’il n’existe pas de solution unique pour réussir. Pour identifier le ou les bons modèles pour le Congo, le ministère de l’Économie Forestière et d’autres parties prenantes clés devraient convenir d’une période d’expérimentation durant laquelle ils développeront une stratégie de la forestière communautaire, avec une vision et un plan d’action clairs , concevoir des directives et des procédures pour la création et la gestion des forêts communautaires, mettre en œuvre des projets pilotes s’adaptant aux différents paysages et contextes culturels, et définir un processus permettant de mettre à profit toutes les leçons apprises dans le cadre de l’ensemble des réformes juridiques pertinentes, y compris celles applicables en dehors du secteur forestier.

Pour aller de l’avant

La foresterie communautaire peut donner aux peuples autochtones et communautés locales un rôle central dans les initiatives liées au climat, au développement et à la gouvernance. La loi forestière de 2020 doit maintenant être concrétisée. La mise en œuvre des cinq actions clés décrites ci-dessus nécessitera une volonté politique à tous les niveaux, du ministère de l’Économie Forestière aux autorités locales. Elle dépendra en outre de la coordination entre tous les acteurs clés, y compris les agences en charge des forêts, des affaires foncières, de la planification de l’utilisation des terres, de la décentralisation, de l’entrepreneuriat, des finances et de l’agriculture, ainsi que des investissements des bailleurs de fonds et d’entreprises pour assurer la faisabilité de cette stratégie ambitieuse. Et, plus important encore, tout cela nécessitera l’inclusion des PACL à toutes les étapes, dès le début du processus.